Ascension d'un rêve
Au fond du gouffre, il y a un océan de douleur, couleurs ternies par des limons trop vieux, sédiments d'une autre ère que rien n'éclaire plus. Dans cette obscurité, je me suis échouée. Lorelei était là ! Je croyais Te trouver. Les hauteurs me portaient. Elles m'ont jetée, larguée dans les abysses, profondeurs ténébreuses où Tu n'es pas.
Au fond du gouffre, il y a un océan né de ces rêves d'enfant où les princesses deviennent reines. Le vent emmêle et ensorcèle la brume, tresse d'écume la chevelure de la nuit. Voilée, la voix de l'Amant devient mirage qui m'attire dans le noir et me rend otage d'un espoir, d’une plume versatile redessinant le ciel de songes oubliés. Est-il un dieu au fond de l’abîme pour raconter les histoires d’autrefois ? Si Dieu est Logos, le Verbe, et si le verbe crée le monde, que vais-je créer en écrivant ces mots ?
J'ai parlé d'Amour et je n'ai vu que haine. J'ai parlé de paix et je n'ai vu que guerre.
Combien de bûchers encore pour cette humanité déchue, avant la rédemption de la Mort ? Quel est donc ce mystère qui voit les hommes chanter l'Amour et sa Lumière mais semer la guerre et la misère, prendre les armes et n'engendrer que larmes plutôt que de manier la houe pour scarifier leur âme et accueillir le grain des sagesses d'autrefois ?
Où sont passés tous les rêveurs ? Platon, Sénèque et Spinoza ? Marc Aurèle, Voltaire, Victor Hugo ? Nirmalâ Sundari Devî, Rabiah al-Adawiyah et Marie de Magdala ?
Et toi ? Toi l’anonyme, toi qui t’arrête un instant sur ces mots, toi qui a fait ce rêve aussi, que deviens-tu ? Dans quel abîme es-tu tombé ? Dans quel oubli du ciel et de la terre ? Je me souviens d’un rêve – c’était il y a longtemps, c’était demain, je n’étais pas encore née et pourtant je vivais déjà – mais il s’est déversé dans un torrent de larmes aussi rouge qu’un soleil agonisant. Est-il encore un crépuscule pour annoncer l’incandescence de l’aube ?
Au fond des gouffres, les océans s’abreuvent du sang des hommes et leurs rêves s’y noient. Des vagues de leurs âmes s’élèvent un chant, écume blanche qui se pose sur le sable au matin. Quelle ascension des cœurs pour les porter jusqu’à nos lèvres, pour que résonne encore le souvenir d’un espoir ? Est-il encore un rêve d’enfant au fond de nous pour s’envoler hors de l’abîme, telles les aigrettes des pissenlits, et nous porter jusqu’aux racines du ciel ?