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Esprits-rebelles
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25 novembre 2013

Une mare

La vallée s'étend entre les contreforts de montagnes aux sommets enneigés à cette époque de l'année. C'était autrefois une vallée verdoyante et paisible où mûrissaient les fruits d'une vigne charnue d'où l'on tirait un vin aussi rouge que les joues d'une jeune fille à son premier rendez-vous, aussi capiteux que ses lèvres. Des ânes parcouraient les chemins suivis par des hordes de bambins bruyants, lorsque s'achevait l'après-midi. Le vent faisait ondoyer des lignes de linge, comme des drapeaux de prières, aux couleurs chatoyantes. Aujourd'hui, la main de l'homme a scarifié ces paysages, labourant toujours plus profondément la terre,  fertile il y a peu de mois encore.

Mes pas me mènent vers un jardin en surplomb. De là, le regard s'étend au loin et on peut deviner les splendeurs passées d'une nature outragée. Le lieu est encore vert, de cette tendre couleur qui fait penser au printemps. Préservé, comme hors du temps, il offre encore un refuge où il fait bon venir se poser à l'ombre de grands arbres plusieurs fois centenaires.

Dans une mare se reflètent les nuages qui défilent en emportant le temps, en emportant le gris du ciel. L'après-midi touche à sa fin. La brise d'automne fait frémir le feuillage des saules et des bouleaux. Leur parure se meurt et tombe en une pluie d'ocre et d'argent. Tout près, un cyprès s'agite comme pour retenir un instant les secondes s'enfuyant sur l'herbe jaunie par les pleurs des bouleaux.

Il y a dans l'air comme un regret, une sorte d'au revoir. Un jeune homme est étendu sur la pelouse de ce jardin où le temps semble s'être arrêté. Son regard se perd dans l'azur de la fin du jour, s'éteint sur  un horizon lointain. A quoi rêve-t-il ? Au loin le tonnerre gronde dans la vallée, pourtant il reste là. Une larme a coulé de ses yeux et roulé sur sa joue. Est-ce la tristesse ou la joie qui les faisait briller ? Le regard fixé sur les nues, il suit le vol d'un oiseau solitaire dont l'ombre des ailes plane un bref moment sur la mare.

S'envole-t-il avec elles loin de la mare, loin des souvenirs et des regrets ?
Qui peut savoir son histoire et toutes les autres qui se sont déroulées dans cette vallée, dans ce jardin ?
Saurai-je jamais d'où vient cette mare qui auréole son visage et pourquoi elle s'obscurcit ainsi bien avant que vienne la nuit ?
Pourquoi le rouge joyeux qui vibrait, il y a peu, devient-il si sombre ?
Pourquoi la lumière qui brillait dans ses yeux s'éteint-elle avant que ne disparaisse le soleil ?

 Dans la vallée, le tonnerre gronde toujours tandis que le silence règne à présent dans le jardin. Plus aucun bruit ne l'anime. Même la brise s'est tue. D'un sourire je cherche son regard, mais il ne répond pas.
La vie, un instant suspendue, se retire.
Alors, seulement, je comprends.

Battez, tambours, soufflez, tempêtes pour rompre tous les silences de naguère. Affrétez toutes les voiles et les vents de la terre, la guerre n'épargne aucun jardin. Battez, tambours, soufflez, tempêtes, allez dire partout dans les chaumières qu'ici on tombe, qu'ici on meurt.
Auriez-vous honte ? Ailleurs on rit, on joue à se tuer, on extermine sur des écrans ; entre deux verres de bières, on fait gicler le sang. Ici on pleure et on enterre. Les oiseaux sur le ciel ne sont plus solitaires et l'ombre de leurs ailes creusent des étangs toujours plus rouges, toujours plus sombres.

Dans ce jardin, si loin de tout, la guerre s'est invitée un instant. Le jeune homme s'en est allé avec elle. Le jour tombe mais nulle obscurité, pour lui, ne viendra. Je reste seule. Mon esprit prend son envol tandis que la nuit siffle. Je manque un inspir. Allongée, je demeure les yeux fixés sur le ciel. Il est vide d'oiseaux, déserté par les nuages. Une larme coule sur ma joue. Je souris en sentant une mare naître autour de moi.

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La poésie est un chant et une parole.
C'est une parole qui parle à la parole de l'homme et qui permet, si elle est entendue, la part miraculeuse de l'existence - Gabriel Mwènè Okoundji -



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