Et Parfois, survenait un matin doux comme le premier jour de la création
où la vie, dans la lumière, révélait le fond de ses entrailles
– Les meubles, les enfants, et le laurier séché pendu au mur par une ficelle, tout était calme, nivelé – l'escabeau et le cerceau de la moustiquaire ;
– comme lorsque tu regardes le creux du rivage et que tu aperçois sous l'eau limpide, les galets ronds, bruns, citron, roses, paisibles, bien rangés, comme si jamais ne les avait battus la colère de l'eau ni du vent.
– Et tu dis : ce qui est au fond est en haut – et tu ne te noies pas.
– Seul un léger soupir s'accroche à ta bouche comme le petit bouquet de canelle, au clou, dans la cuisine,
– comme une branche de jasmin à la fenêtre,
– comme le nid d'hirondelle sous la gouttière du toit
– et dans le nid reposent, tièdes, azurés, les œufs, prêts à devenir ailes et chansons.
Alors il nous semblait que rien n'était perdu,
que la mort ne pouvait rien nous prendre,
– parce que nous avions tout donné, tout livré ; plus rien ne reste
– et nous ne sommes pas seulement ce que nous sommes devenues, mais ce que nous avons donné
– et nous devenons ce que devient notre don
– et pas un cheveux de nos tresses n'a été emporté par le vent.
Les vieilles femmes et la mer - Yannis Ritsos