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Esprits-rebelles
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29 mai 2014

Ascension d'un rêve

Au fond du gouffre, il y a un océan de douleur, couleurs ternies par des limons trop vieux, sédiments d'une autre ère que rien n'éclaire plus. Dans cette obscurité, je me suis échouée. Lorelei était là ! Je croyais Te trouver. Les hauteurs me portaient. Elles m'ont jetée, larguée dans les abysses, profondeurs ténébreuses où Tu n'es pas.

Au fond du gouffre, il y a un océan né de ces rêves d'enfant où les princesses deviennent reines. Le vent emmêle et ensorcèle la brume, tresse d'écume la chevelure de la nuit. Voilée, la voix de l'Amant devient mirage qui m'attire dans le noir et me rend otage d'un espoir, d’une plume versatile redessinant le ciel de songes oubliés. Est-il un dieu au fond de l’abîme pour raconter les histoires d’autrefois ? Si Dieu est Logos, le Verbe, et si le verbe crée le monde, que vais-je créer en écrivant ces mots ?

J'ai parlé d'Amour et je n'ai vu que haine. J'ai parlé de paix et je n'ai vu que guerre.
Combien de bûchers encore pour cette humanité déchue, avant la rédemption de la Mort ? Quel est donc ce mystère qui voit les hommes chanter l'Amour et sa Lumière mais semer la guerre et la misère, prendre les armes et n'engendrer que larmes plutôt que de manier la houe pour scarifier leur âme et accueillir le grain des sagesses d'autrefois ?

Où sont passés tous les rêveurs ? Platon, Sénèque et Spinoza ? Marc Aurèle, Voltaire, Victor Hugo ? Nirmalâ Sundari Devî, Rabiah al-Adawiyah  et Marie de Magdala ?
Et toi ? Toi l’anonyme, toi qui t’arrête un instant sur ces mots, toi qui a fait ce rêve aussi, que deviens-tu ? Dans quel abîme es-tu tombé ? Dans quel oubli du ciel et de la terre ? Je me souviens d’un rêve  – c’était il y a longtemps, c’était demain, je n’étais pas encore née et pourtant je vivais déjà – mais il s’est déversé dans un torrent de larmes aussi rouge qu’un soleil agonisant. Est-il encore un crépuscule pour annoncer l’incandescence de l’aube ?

Au fond des gouffres, les océans s’abreuvent du sang des hommes et leurs rêves s’y noient. Des vagues de leurs âmes s’élèvent un chant, écume blanche qui se pose sur le sable au matin. Quelle ascension des cœurs pour les porter jusqu’à nos lèvres, pour que résonne encore le souvenir d’un espoir ? Est-il encore un rêve d’enfant au fond de nous pour s’envoler hors de l’abîme, telles les aigrettes des pissenlits, et nous porter jusqu’aux racines du ciel ?

 

 

 

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3 février 2014

Nous

Qui suis-je ? Qui es-tu ?
Suis-je seulement la somme de tous les hiers à venir ? Une mémoire de toi qui n’en finit pas de tisser un présent en dentelle où s’accrochent des écriratures ? Je, tu, nous et le monde autour. Noûs par lequel je vivais, souffle qui nous portait et emportait nos rêves, trésors précieux ou bien maudits, enfouis dans les mémoires.

 Tels des miroirs, les songes se sont brisés pour ne plus donner à voir, pour ne plus refléter ni visage, ni regard. Ces songes étaient des ponts, enluminures d’espoirs offerts aux désespoirs des nuits vides d’étoiles pour que l’aube traverse l’hiver et atteigne l’été, pour que la semence croisse, enfle, mûrisse et que le vent puisse fleurir doucement de blonds épis de blés moissonnés dans les rires de jupons virevoltants.

Un soir de pluie, le ciel a mis le feu à la moisson, a brûlé tous les ponts, a incendié nos cœurs et tué tous les vents. Le Noûs a disparu. Qui étais-tu ? Je ne t’ai pas connu. A peine si j’ai pu caresser quelques mots esquissés par ta plume sur une lettre, pensées aujourd’hui fanées. Je t’aimais trop déjà, je les ai tant serrées qu’elles se sont froissées et leur pétales éparpillés ne me content plus rien ni ne dessinent le printemps et la terre ou bien tes pas sur mon chemin.

Qui suis-je ? Ai-je joué dans les sables des dunes ? Me suis-je agenouillée tout au bord d’une mare pour cueillir les nuages et effleurer la lune ? Qui me dira si demain existe encore ? Et où mènent ces rails qui disparaissent sous la montagne ?

Tout comme la dame de Shalott, j’ai voulu regarder au-delà du rempart, voir la réalité et non plus son reflet. The curse has come, le miroir est brisé mais nul bateau ne vient. Alors si tout cela n’est que mensonge, Je n’est pas Tu. Nous n’existera jamais, ni hier, ni demain pas plus qu’aujourd’hui et cette plume qui trace l’impatience d’un espoir de nuit ne peut plus déployer les ailes de la folie d’un cœur brûlé avec une moisson.

Je me souviens de rires, de danses et de chants, Stabat Mater, qui célébraient la terre. Je me souviens de Toi, de ton désir étincelant ton regard et enflammant mes sens aussi sûrement que le feu autour duquel nous dansions. Tes mains sur ma taille allumaient un sourire dans tout mon corps tant et si bien que l’étoffe de ma chemise ne pouvait plus dissimuler l’ardeur qui tendait ma poitrine ni mon souffle s’accélérant de plus en plus. Mes joues étaient rouges d’une chaleur qui ne devait rien à la folle farandole. J’étais tienne déjà. Étais-tu mien ?

Ils ont tout ravagé, ne laissant que ruines et cendres dans mon corps démembré. Longtemps dans le noir je suis restée. A l’intérieur des remparts d’une citadelle d’écume battue par l’océan des larmes de milliers de femmes riant et dansant une farandole qui célébrait la terre et les moissons, qui sanctifiait l'amour et l'esprit de nos mères, le souffle de nos pères. Je, tu, nous. Il n’y a plus de Noûs, l’Esprit s’en est allé, le Souffle s’est éteint.
Qui allumera les nuits ?

 

26 janvier 2014

Amnésie

Je me souviens d’un bateau.
Je me souviens des vagues, des embruns qui tressaient mes cheveux de perles d’écume, roidissaient mon âme et buvaient mes larmes. Au-delà, les souvenirs se perdent dans la brume, s’évanouissent comme ces lumières, comme ces ombres qui ne vivent qu’un instant sur la vitre de ce train pénétrant la nuit noire et pluvieuse.

La gare est déjà loin. Le petit matin n’est pas encore et la plupart des passagers somnolent, achevant peut-être quelques rêves interrompus par un réveil hâtif. Nul paysage ne se dessine dans ce noir qui défile mais le reflet de la voiture que je partage avec deux hommes et une jeune femme. Fantômes à peine plus consistants que mes souvenirs, traversés parfois par les lueurs d’une ville au loin, les phares d’un véhicule sur une route imaginaire. Qui sont-ils ? Où vont-ils ?

Le plus âgé des deux hommes lit sur un ordinateur portable quelque article qui capte toute son attention. Pas de rêverie pour lui. La féerie d’une nuit qui s’égrène au fil des rails n’a pas de prise sur lui. Ses yeux ne sont pas emplis du sable des songes mais des pixels d’un écran par lequel le monde prend forme. Voit-il la beauté de la femme assise non loin de lui ? Les pieds bien joints, elle feuillette un agenda posé sur ses genoux serrés. Dans le miroir offert par la vitre, je la regarde ; je la dévisage, m’approprie son image et vole le sourire qui flotte sur ses lèvres pour le mettre sur les miennes. Ses cheveux couleurs châtaignes sont relevés en un chignon d’où s’échappent deux ou trois mèches bouclées et rebelles brisant l’impression de sérieux donné par des lunettes carrées et une petite veste droite, tandis qu’une jupe laissant apparaître la naissance de ses cuisses habillées de sienne dit la sensualité d’une personne qui goûte la vie.

Le deuxième homme a plutôt l’apparence d’un jeune garçon, tant ses habits lui donnent un aspect juvénil : blouson de cuir un peu vieilli, jean délavé et baskets négligemment lacées.  Mais, à mieux le regarder, il doit avoir 25 ans environ. Les yeux mi-clos, il tente de trouver une position confortable. Peut-être espère-t-il inviter le sommeil à se poser sur son épaule le temps du parcours ?

Quatre passagers. Quatre spectres immobiles, suspendus dans l’obscurité d’un ailleurs toujours différent, toujours identique et qui disparaissent lorsqu’en un lieu inconnu, mais au nom parfois évocateur de St Florent sur Cher, de Saint Amand, le train s’arrête. La lueur orangée d’une modeste gare de campagne redonne vie à un monde étrange que l’on devine à peine. Un homme du rail apparaît. Casquette blanche et blouson bleu. Il tient dans la main les seules couleurs que je vois depuis mon départ. D’un rouge sombre, il retient la rame un instant. Le visage avenant, il veille sur la gare endormie, sur ces trains qui se croisent dans cette antichambre, trait d'union entre le nulle part du voyage et un ailleurs où seuls vivent les songes. Lorsque s’allume le vert, les portes se ferment, le wagon s’ébranle et sur le quai, d’un signe de la main, l’homme du rail salue –le conducteur sans aucun doute– avant de disparaître, avalé par une porte sur le côté d’un bâtiment qui disparaît bien vite lui aussi, englouti par la nuit.

Je sombre avec eux. Qui suis-je ? Ce convoi m’emmène-t-il vers les réponses que je cherche ?

Squelettiques, quelques arbres se dessinent au loin, abreuvés de ténèbres, du noir de l’encre des plumes qui sont restées engluées dans le bitume de nos vies. Délesté de cette obscurité, le ciel doucement s’éclaircit, offrant un écran gris aux ombres chinoises des bouleaux, des frênes et des toits des maisons, des usines.
Je ferme les yeux un moment et me laisse bercer par le mouvement, roulis s’accordant au rythme régulier, cadencé de la musique produite par les roues sur les rails. Fer contre fer, la terre donne le tempo, les courbes la mesure. 
C’est sur mon épaule que le sommeil est venu se poser, me laissant, à son envol,  des brindilles de rêves aussi étranges que beaux. Les deux hommes ont disparu. La jeune femme a refermé son agenda. Les mains attendent sagement sur ses genoux l’instant où l’être tout entier se mettra en mouvement.

Plus de fantômes de l’autre côté de la vitre, mais des prairies qui ont bu toute l’obscurité. Les arbres nus frissonnent en s’éveillant sous un ciel d’étain parsemé de perles gris de Payne. Dans les champs détrempés j’aperçois plusieurs brocards. Images familières de hardes se nourrissant au petit matin des restes de la moisson…

A la façon dont on saisirait une bouée pour ne pas se noyer, mon esprit les saisit. Elles m’évoquent un partage, un effluve de bonheur qui sentirait la pomme, aurait le goût de poire. Un mot revient, verger : le plaisir d’être ensemble et de cueillir les fruits. Le plaisir de courir, quand c’était interdit, le long des vignes tout à côté. La joie de goûter les raisins abreuvés de soleil qui tâchaient nos doigts et nos lèvres. Les hottes d’osier que nous chargions de grappes lourdes du breuvage à venir. Oui, je me rappelle des vendanges et des rires, des noix et du vin acre.
Mais où était-ce ?

Je voudrais retrouver les rires qui débordaient des paniers, les chenilles aux couleurs vives qui s’invitaient parfois dans les salades de fruits. Y aura-t-il des jardiniers là-bas, au bout du quai ? Et des bergers ? Y aura-t-il des patous au milieu des brebis et des loups pour les faire grogner ?
J’aimais arpenter les alpages.
Mais quand était-ce ? Je ne m’en souviens plus.
Pourtant je sais qu’il y avait de la bruyère dans les sous-bois, des grandes fougères sur les collines et la terre généreuse sentait bon la pluie après l’orage.

L’orage… Telles des lucioles dans la nuit, des images s’envolent, petites lueurs sur le tableau noir de l’esprit : das Glockenspiel und die Stadtmusikanten, les pavés luisants d’une petite rue déserte et ce taxi, surgi d’on ne sait où, à l’intérieur duquel j’avais pris place, trempée par l’averse, les cheveux dégoulinants, encore tremblante de peur sans même un sou en poche pour régler la course.
Que faisais-je dans cette ruelle et où était la mer ?
Comment suis-je arrivée sur ce navire de l’oubli, à quel moment ai-je fais naufrage et me suis-je perdue ? 

Me voilà, seule passagère dans une voiture  vide à présent, sur des rails, bien loin de l’océan. Ville après ville, les paysages défilent et je ne sais toujours pas si je me rapproche où si je m’éloigne de mon but. Qui trouverai-je au bout du quai sur lequel je poserai les pieds ? Je voudrais ne jamais cesser ce périple. Ne jamais descendre, si ce n’est dans un endroit où personne ne m’attend, où quidam parmi les quidams les souvenirs n’auraient plus d’importance, où je pourrais m’inventer un nom, une vie et peut-être redonner vie au oui contenu dans le rire d’un grain gorgé de soleil vermillon.

Au terminus du trajet, mais non point du voyage, je descends à la rencontre de l'inconnue que je suis.

 

Chemin de fer

 

 

25 novembre 2013

Une mare

La vallée s'étend entre les contreforts de montagnes aux sommets enneigés à cette époque de l'année. C'était autrefois une vallée verdoyante et paisible où mûrissaient les fruits d'une vigne charnue d'où l'on tirait un vin aussi rouge que les joues d'une jeune fille à son premier rendez-vous, aussi capiteux que ses lèvres. Des ânes parcouraient les chemins suivis par des hordes de bambins bruyants, lorsque s'achevait l'après-midi. Le vent faisait ondoyer des lignes de linge, comme des drapeaux de prières, aux couleurs chatoyantes. Aujourd'hui, la main de l'homme a scarifié ces paysages, labourant toujours plus profondément la terre,  fertile il y a peu de mois encore.

Mes pas me mènent vers un jardin en surplomb. De là, le regard s'étend au loin et on peut deviner les splendeurs passées d'une nature outragée. Le lieu est encore vert, de cette tendre couleur qui fait penser au printemps. Préservé, comme hors du temps, il offre encore un refuge où il fait bon venir se poser à l'ombre de grands arbres plusieurs fois centenaires.

Dans une mare se reflètent les nuages qui défilent en emportant le temps, en emportant le gris du ciel. L'après-midi touche à sa fin. La brise d'automne fait frémir le feuillage des saules et des bouleaux. Leur parure se meurt et tombe en une pluie d'ocre et d'argent. Tout près, un cyprès s'agite comme pour retenir un instant les secondes s'enfuyant sur l'herbe jaunie par les pleurs des bouleaux.

Il y a dans l'air comme un regret, une sorte d'au revoir. Un jeune homme est étendu sur la pelouse de ce jardin où le temps semble s'être arrêté. Son regard se perd dans l'azur de la fin du jour, s'éteint sur  un horizon lointain. A quoi rêve-t-il ? Au loin le tonnerre gronde dans la vallée, pourtant il reste là. Une larme a coulé de ses yeux et roulé sur sa joue. Est-ce la tristesse ou la joie qui les faisait briller ? Le regard fixé sur les nues, il suit le vol d'un oiseau solitaire dont l'ombre des ailes plane un bref moment sur la mare.

S'envole-t-il avec elles loin de la mare, loin des souvenirs et des regrets ?
Qui peut savoir son histoire et toutes les autres qui se sont déroulées dans cette vallée, dans ce jardin ?
Saurai-je jamais d'où vient cette mare qui auréole son visage et pourquoi elle s'obscurcit ainsi bien avant que vienne la nuit ?
Pourquoi le rouge joyeux qui vibrait, il y a peu, devient-il si sombre ?
Pourquoi la lumière qui brillait dans ses yeux s'éteint-elle avant que ne disparaisse le soleil ?

 Dans la vallée, le tonnerre gronde toujours tandis que le silence règne à présent dans le jardin. Plus aucun bruit ne l'anime. Même la brise s'est tue. D'un sourire je cherche son regard, mais il ne répond pas.
La vie, un instant suspendue, se retire.
Alors, seulement, je comprends.

Battez, tambours, soufflez, tempêtes pour rompre tous les silences de naguère. Affrétez toutes les voiles et les vents de la terre, la guerre n'épargne aucun jardin. Battez, tambours, soufflez, tempêtes, allez dire partout dans les chaumières qu'ici on tombe, qu'ici on meurt.
Auriez-vous honte ? Ailleurs on rit, on joue à se tuer, on extermine sur des écrans ; entre deux verres de bières, on fait gicler le sang. Ici on pleure et on enterre. Les oiseaux sur le ciel ne sont plus solitaires et l'ombre de leurs ailes creusent des étangs toujours plus rouges, toujours plus sombres.

Dans ce jardin, si loin de tout, la guerre s'est invitée un instant. Le jeune homme s'en est allé avec elle. Le jour tombe mais nulle obscurité, pour lui, ne viendra. Je reste seule. Mon esprit prend son envol tandis que la nuit siffle. Je manque un inspir. Allongée, je demeure les yeux fixés sur le ciel. Il est vide d'oiseaux, déserté par les nuages. Une larme coule sur ma joue. Je souris en sentant une mare naître autour de moi.

20 novembre 2013

Deux mots

 L’enfant gît sur le sol. Elle expire en sanglots, sanglée dans l’absence et le silence tendus sur le ciel de la nuit. Elle inspire dans le cri de deux mots étouffés par le bruit de la roue qui a broyé ses os et déchiré la chair de l’enfance. 

Elle est si jeune encore, mais l’innocence des sens a si peu de poids face à la grandeur, à l’horreur d’une foi proférée par la voix de ceux qui versent le premier sang de la vierge maculée de leur maux.
Ils viennent, ces hommes, ces fils, ces frères. Ils viennent labourer le ventre de leur mère, de leur sœur, de leur fille. Ils reviennent encore après avoir prié, supplié le Fils, le Père de les guider sur la Voie d’une justice qui n’est pas de ce monde. Le ciel s’ouvre sous leurs pieds et ils jettent l’enfance dans les bras de la nuit, convaincus de s’élever dans la lumière trompeuse d’une ténèbre sans fond.
Effondrée dans un coin de cellule, la jeune fille n’a plus de larmes pour laver son âme, ni prière pour faire luire la lumière et éteindre la flamme de leur haine. Elle est belle. Sa beauté est blasphème. Elle est pure, sa pureté est offense à leur sens qui incendient le sacré. Alors pour échapper au four de l’enfer, ils construisent un bûcher et brûlent leur désir sans honte mais avec regrets. 

Recroquevillée dans le noir, la jeune femme pleure. Une main sur ses lèvres meurtries pour étouffer le cri de terreur, désespoir dérisoire pour oublier l’horreur de ces nuits et son corps meurtri par les coups et les rires de ceux qui ont déchiré son hymen. Beauté provocante, jeunesse désirable, rebelle enchaînée, insoumise sous le voile. Ils viennent soumettre l’origine du monde. Ils viennent après avoir prié, supplié pour que cessent leurs maux, pour que cesse l’enfer. Ils reviennent encore et consument la chair de leur désir. Sans honte, ni regrets. Ils élèvent un empire pour atteindre au sommet d’un jardin vide de mots. Plus de cris, plus de larmes, mais des chiffres et des armes. Plus de bûcher mais un marché, une place aux enchères, quelques marches de plus vers les feux scintillants d’un éden sans arbre ni fruits mais empli de trônes d'or et de rubis. 

Roulée en boule dans le cœur de la nuit, la femme gémit, secouée de sanglots, hoquetant sur un ciel oublié. Les bras serrés autour de l’enfant bafouée qui gît sur la terre profanée, elle hurle le voile déchiré, les chairs calcinées exsangues de larmes. Elle expire dans l’absence et le silence, dans le cri de deux mots : « aide-moi.  »

 

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16 novembre 2013

Rencontre

Comme il fut long le chemin qui les mena jusqu’à leur rencontre. De hasards en détours, ils avançaient. Elle refusait de vivre, il se détournait de sa voie. Chacun dans son coin de vie grandissait, mûrissait et pensait faire le choix de la route empruntée.

Mais les Nornes nouaient déjà les fils d’une tapisserie dont le dessin n’apparait qu’aujourd’hui. Elles avaient tissé les décors puis inséré les liens dans les trames de leurs existences. Tout doucement la vie les rapprocha et ils n’en surent rien.

Un jour, elle ressenti comme un appel. Une impression étrange, diffuse autant qu’inexplicable. Deux lignes dans un journal. Un fil arachnéen pour l’insérer dans la toile d’un lendemain. Rien ne l’incitait à s’installer dans cette ville perdue, dans cette masure vétuste et insalubre. Cependant, quand elle emménagea, elle su être là où elle devait être. Et même lorsque les nuits d’hiver pénétraient jusqu’au cœur de la maison amenant avec elles des rats en quête de chaleur, que le découragement la prenait quand son enfant pleurait de faim, elle ne doutait pas que sa place était là.

Elle  attendait, elle ne savait trop quoi, mais elle attendait. Elle patientait sous le regard narquois des autres villageois. Elle refusait de s'en aller, de fuir le brouillard et la boue, de fuir les railleries. Elle en vint à mendier pour nourrir son enfant, qu'importe sa fierté, elle était décidé à rester. Elle avait trop souvent vu la mort se détourner pour s'encombrer de la pensée de ces gens qui croyaient vivre et la prenait parfois en pitié.

Il avait été bousculé par la vie. Sans ses enfants, peut-être aurait-il pris un autre parti. Il cru fermement avoir décidé de venir s’installer dans cette ville qui l'accueillit et leur offrit une nouvelle vie. Il aurait pu aller ailleurs, aurait pu trouver une autre place pour pratiquer son art, une autre école pour ses petits. Mais tout doucement, les Nornes tiraient, nouaient et inséraient les liens. Un fil avait été coupé là-bas, un pan de vie s'était achevé , le temps était venu pour la rencontre.

De la première fois, elle ne se souvenait que de cette sensation bizarre qui l’avait envahie, presque un malaise, lorsque leurs regards s’étaient croisés. Lui se rappelait sa fragilité qu’elle tentait de dissimuler derrière des airs bravaches et de son mutisme aussitôt que l'on parlait d’elle.
Jamais rencontre ne fut plus longue, ni plus étrange. Chacun ses blessures, chacun son armure. Pourtant, il émanait de lui une bienveillance lumineuse qui attirait et, bien qu’elle craignit de se brûler les ailes à cette lumière, elle chercha souvent à le revoir, intriguée mais désireuse de comprendre d'où venait sa différence et d’apprendre ses secrets.

Il n’était pas avare de son savoir mais demeurait prudent. Un jour qu'elle lui fit présent de ses mots, il la connut et il vit le chemin qu’ils avaient emprunté ensemble. Certaines rencontres semblent se faire au gré des mouvements de la vie. On se croise, on fait un bout de route ensemble et puis on se sépare.
Ils s’étaient trouvés, s’étaient liés sans le savoir.
Leur rencontre ? Un élan.
Elle s'était écrite à l'encre de leurs âmes et était devenue, elle-même, le chemin de leur vie.

Depuis, les déesses continuent de broder en fils de lumière  la tapisserie qu’ils entrevoient parfois la nuit, lorsque s'éclaire le firmament.

 

15 novembre 2013

Lettre à R.

Mon Amour, 

Tu m’interroges, encore et toujours. Tu voudrais entendre, mais tu écoutes si peu. Que souhaites-tu entendre ? Je n’ai pas la parole, je n’ai que les mots et un peu de noir de fumée pour inscrire en relief les creux de mon cœur. 

Tu veux que je me livre, mais as-tu seulement tourné les pages de mes ouvrages, les as-tu parcourues les yeux fermés pour sentir l’écrit de mon âme, du bout de tes doigts ? Connais-tu l’essence de l’eau qui ruisselle sur la pierre broyée pour abreuver la plume ? 

Je n’ai pas la parole, je n’ai que les mots et un peu de nuit pour écrire sur la trame du temps ce que tu n’entends pas. Compte les étoiles. Le peux-tu ? Comment veux-tu savoir alors combien de larmes dans la pluie ! Écoute le murmure de l’onde. Le peux-tu ? Comment percevras-tu alors comment naît le silence ! Car c’est en eux que tu me trouveras. Mais tu ne comprends pas cela. Tu aimes la chair et le vin de la vie qui enivre les sens ; pourtant je t’ai vu caresser tendrement une rose dont l’essence avait su te charmer ; je t’ai vu t’extasier devant la silhouette d’un cerisier sur les flammes du couchant ; je t’ai vu pleurer en déposant les armes.  Ne peux-tu effleurer mon âme ? 

Une nuit de tempête, je m’en souviens, je t’ai pris dans mes bras. Balloté par les vents et le cœur déchiré, tu dérivais dans une profonde obscurité. Tu étais égaré. Mais moi, je connais bien la Ténèbre.  Elle ne m’effraie point. Je l’ai regardée dans les yeux et j’ai juré que jamais elle ne te prendrait. Peut-être ai-je perdu mon âme cette nuit-là !
Peut-être … mais qu’importe  si tu es sauf. 

Liras-tu cette lettre ? Ou bien finira-t-elle comme les autres, classée d’un tendre sourire et aussitôt oubliée ? Je sais les paroles que tu voudrais entendre, mais je ne sais pas les dire. Je ne connais que le silence lorsqu’il est symphonie d’un matin d’été, bruissement doux d’un feuillage d’automne, éclat bleuté sur une neige immaculée.

Mon amour est changeant, comme le temps et les saisons, comme le jour et la nuit, comme les rires d’un enfant, mais il demeure présent à chaque instant. 

Entends-tu ton cœur ?  Le mien bat d'égale façon.

15 novembre 2013

Pensées

Le soir tombe, comme tombe une plume. Sans un souffle, sans un bruit. C'est l'heure où la nuit s'éveille, l'instant où, encore froissée de l'étreinte du jour, elle s'étire sur l'horizon encore pâle. Le chemin s'obscurcit, les arbres se taisent. Derrière eux, un pré et un carré d'eau. Retenue façonnée par des mains depuis longtemps disparues, miroir où se reflètent les peupliers tendant leurs longs doigts effilés vers les étoiles, sur l'onde.

Au bord de l'étang les bouleaux cueillent les pensées. Je m'assieds au pied de l'un d'eux et, adossée à son tronc rugueux, aux pages qui n'ont pas encore été récoltées, je laisse mes rêves s'imprimer sur les feuilles d'argent.

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Je songe à tous les voiliers qui se sont échoués sur les nuages. Coquilles de noix qui se sont abîmées dans l'amer de guerres fratricides, qui se sont perdues dans les brumes d'un monde autour duquel elles ont tourné en solitaire. Ce petit carré d'eau, lui, ne verra jamais l'écume du levant, ni les embruns du couchant. La terre le retient, le protège et l'enserre si bien que le seul sillage qu'il puisse connaître est celui d'un col vert.

Rien pourtant n'est plus libre que l'eau. Alors d'où me vient cette mélancolie ? Pendant que mes pensées prenaient forme, que les mots un à un se posaient, une profonde paix s'est glissée sur la campagne. Nul animal, nul tracteur ne se fait entendre. Ni meuglement, ni bêlement, pas même un oiseau. Diurnes ou nocturnes, ils se taisent face à une présence qui s'étend, dont je perçois l'essence, mais qui m'échappe toujours.

Un souvenir : une biche paissant dans le vallon. Tu marchais à mes côtés dans le silence de mon cœur. Ta voix, chaude, pressante avait ébranlé tout mon être. Je m'étais sentie redevenir enfant et seule cette biche avait su apaiser les remous de mon âme.

Si les navires s'échouent sur les nuages, peut-être est-ce parce qu'il n'y a pas de biches sur l'océan ? Ou peut-être est-ce parce que Ta voix ne porte pas si loin ? Comment désarmer les cœurs dans le fracas des vagues scélérates, dans le bruit des déferlantes ?

Les hommes se perdent à vouloir conquérir des rivages lointains alors que leurs voiliers ne trouvent plus leur côtes. Ils aspirent à pacifier les océans alors que la tempête rugit sur la mer intérieure et qu'aucun havre ne s'offre à eux.

Sur ce petit carré d'eau le sillage d'un col vert vaut bien celui d'un goéland ! Un bouleau blanc ne vaut-il pas un cèdre du Liban pour porter l'espoir d'un enfant ? Je rêve de terres lointaines où je marcherais à ton côté, mais je suis ici sur la terre des anciens rois. Ne chemines-tu pas avec moi ? Quelle est donc cette malédiction qui hantent les hommes et les femmes de ce monde ? Quand donc marcherons-nous là où se posent nos pas ?

Dans le ciel de la nuit qui se lève, le silence s'est mis à chanter. La biche est revenue paître dans le vallon. Nos regards se croisent un instant. Parfum d'éternité.

 

 

8 novembre 2013

Envol

 

Mon Ami,

Une fois de plus, je me tiens devant cette petite table qui connaît tous mes secrets.
Une fois de plus j'écris, interrogeant le silence, interrogeant ton regard. Qui d'autre pourrais-je interroger ? Tu es cette part manquante, ce plus que vif qui habite mon cœur.
J'écris sur les feuilles du vent, brise après brise, tu les liras. Me répondras-tu ?

Au dehors le jour décline et sème les étoiles sur le firmament de la jeune nuit. Elle s'habille de vermeil et d'or pour accueillir les rêveurs, ceux qui s'endorment, ceux qui se lèvent. Je trempe ma plume dans l'encrier de mes rêves et commence à tracer ces arabesques, ces ciselures de chines que tu aimais tant – qui te disaient l'aube au crépuscule, prélude à l'essor des lettres et des mots. Pourtant, avant que de voguer sur le souffle de la nuit, il leur faut tout d'abord se poser sur la feuille. Timides, craintifs, ils déploient leurs ailes et planent au-dessus d'elle, refusant de suivre l'encre qui s'écoule et tâche la page vierge. Alors je me souviens, je leur remémore ceux qui ont précédé et se sont envolés.

Je me souviens de l'océan, des vagues venues baigner mes pieds et m'inviter à un voyage sur l'écume du temps. Les cheveux tressés par le vent du large, enivrée d'embruns et de sel, j'aurais voulu les suivre. Ce soir là, c'est ton sourire qui m'a retenue par la main.

Il y a peu, je suis retournée dans le Jardin. Cela faisait longtemps que je n'avais pas poussé le petit portillon, que je n'étais pas venue m'assoir sur le banc de pierre au pied du jeune chêne. Les ronces ont envahi les abords. Ici et là, des épines noires ont semé leur prunelles acides tâchant l’herbe tendre.  Cependant, les pensées, vivaces, sont toujours là ! Elles me disent cette voix de l’autre côté de la bouchure, me rappelle le pont qui avait été construit, l’envol des papillons et celui des lucioles au crépuscule.

Le temps est passé. Petit à petit nous n’avons plus emprunté le pont. Le rossignol s’est tu. Est-il mort, ou seulement parti sous d’autres cieux, chanter dans d’autres jardins ? Je suis restée longtemps à l’attendre et j’ai oublié d’écouter et d’entendre. L’effraie dans la nuit, la huppe au petit jour. J’ai fini par quitter le Jardin, je m’y sentais trop seule, jusqu’à ce que le parfum des pois de senteurs qui poussent au milieu des ronciers m’interpelle et que j’entende une autre voix, quelque part de l’autre côté d’une autre haie.

J’ai trouvé quelques jeunes pousses de compagnons. Leurs fleurs frêles, roses ou blanches envahissent la colline lorsque vient le printemps. Dis-moi mon Ami, une seule fleur peut-elle porter le ciel ? J’ai pourtant vu les fleurs de marjolaine en feu, frémissante de vie, s’envoler. Pourquoi ne puis-je croire que leurs ailes puissent porter mon âme jusqu’aux nues ? J’ai vu aussi les buissons se couvrir de roses minuscules, mais si nombreuses qu’on ne voyait plus les épines. Je m’y suis blessée car je souhaitais les saisir et je les ai froissées.

Tu me manques, mon Ami. Ta sagesse, ta douceur qui effacent mes peurs. Quand serai-je libre de marcher à tes côtés ? Quand donc, le temps cessera-t-il de passer et d’écourter nos pas ? Tu ne me laisses pas t’enfermer et m’oblige à écouter. Puis-je écouter cette voix ?

Le jour se lève. Les mots enfin, se sont posés sur la plume, se sont égayés sur la page. J’ouvre le petit carré de lumière qui s’allume au-dessus de la table et souffle tout doucement.

 

 

 

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2 novembre 2013

Un autre matin d'automne

La nuit a pleuré toute les larmes des jours passés. Au matin, le vent tourbillonne et fait virevolter les feuilles d’automne d’or et de feu en un ballet coloré et joyeux pour consoler la nuit, pour éloigner la pluie.

Les branches nues, les bras tendus, les arbres dansent et caressent les âmes qui s’en retournent chargées de fleurs, ailleurs, loin des cimetières où se sont retrouvés morts et moribonds ; fantômes espiègles bousculant les vivants le temps d’un banquet, d’une farandole.

Lorsque vient l’aurore, chacun va son chemin et dans les chaumières, les draps froissés trahissent parfois une rencontre, une étreinte par delà les mondes, par delà les sens dans le silence de la nuit. Des pommes fripées et quelques noix racontent à mi-voix les murmures échangés, les caresses esquissées tandis que le chat, un peu mouillé, rentre pour se sécher au coin du feu.

Des nuages d’un blanc crémeux emportent la grisaille, referment le portail. Le soleil doucement point et dessine sur les fusains des notes carmin en réponse au parfum des bruyères. La terre épouse l’éther, enlace sa lumière. Le vent lui souffle l’azur, effleure son sein avec tendresse, séchant sa peau encore humide de la nuit.

Sur les nues, le matin court tandis que le songe s’enfuit. Du bout de l’âme je le suis un instant et puis, avec regret, je me détourne, un sourire au cœur, un souvenir sur les lèvres.

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La poésie est un chant et une parole.
C'est une parole qui parle à la parole de l'homme et qui permet, si elle est entendue, la part miraculeuse de l'existence - Gabriel Mwènè Okoundji -



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