L’enfant gît sur le sol. Elle expire en sanglots, sanglée dans l’absence et le silence tendus sur le ciel de la nuit. Elle inspire dans le cri de deux mots étouffés par le bruit de la roue qui a broyé ses os et déchiré la chair de l’enfance.
Elle est si jeune encore, mais l’innocence des sens a si peu de poids face à la grandeur, à l’horreur d’une foi proférée par la voix de ceux qui versent le premier sang de la vierge maculée de leur maux.
Ils viennent, ces hommes, ces fils, ces frères. Ils viennent labourer le ventre de leur mère, de leur sœur, de leur fille. Ils reviennent encore après avoir prié, supplié le Fils, le Père de les guider sur la Voie d’une justice qui n’est pas de ce monde. Le ciel s’ouvre sous leurs pieds et ils jettent l’enfance dans les bras de la nuit, convaincus de s’élever dans la lumière trompeuse d’une ténèbre sans fond.
Effondrée dans un coin de cellule, la jeune fille n’a plus de larmes pour laver son âme, ni prière pour faire luire la lumière et éteindre la flamme de leur haine. Elle est belle. Sa beauté est blasphème. Elle est pure, sa pureté est offense à leur sens qui incendient le sacré. Alors pour échapper au four de l’enfer, ils construisent un bûcher et brûlent leur désir sans honte mais avec regrets.
Recroquevillée dans le noir, la jeune femme pleure. Une main sur ses lèvres meurtries pour étouffer le cri de terreur, désespoir dérisoire pour oublier l’horreur de ces nuits et son corps meurtri par les coups et les rires de ceux qui ont déchiré son hymen. Beauté provocante, jeunesse désirable, rebelle enchaînée, insoumise sous le voile. Ils viennent soumettre l’origine du monde. Ils viennent après avoir prié, supplié pour que cessent leurs maux, pour que cesse l’enfer. Ils reviennent encore et consument la chair de leur désir. Sans honte, ni regrets. Ils élèvent un empire pour atteindre au sommet d’un jardin vide de mots. Plus de cris, plus de larmes, mais des chiffres et des armes. Plus de bûcher mais un marché, une place aux enchères, quelques marches de plus vers les feux scintillants d’un éden sans arbre ni fruits mais empli de trônes d'or et de rubis.
Roulée en boule dans le cœur de la nuit, la femme gémit, secouée de sanglots, hoquetant sur un ciel oublié. Les bras serrés autour de l’enfant bafouée qui gît sur la terre profanée, elle hurle le voile déchiré, les chairs calcinées exsangues de larmes. Elle expire dans l’absence et le silence, dans le cri de deux mots : « aide-moi. »