- Qu'as-tu ?
- Je suis fatiguée.
- De quoi ?
- de toi, de tout... je voudrais oublier...
- Que souhaites-tu oublier ?
- La souffrance... tout ce que nous avons vécu.
- Mais cela, tu ne t'en rappelles déjà plus !
- De quoi parles-tu ?
- De ce dont, moi, je me souviens.
- Qu'ai-je oublié, dis-moi.
- Si je te le dis, tu t'en souviendras et tu souffriras de nouveau.
- Tu gardes en mémoire tout ce que j'ai enduré, tout ce que tu ne m'as pas épargné, mais tu l'effaces de la mienne, pourquoi ? Je souffre toujours... cela a-t-il jamais cessé un jour ? Je voudrais m'en aller.
- Tu veux que l'on se sépare ?
- Oui.
- ...
- Tu ne dis rien ?
- ...
- Je veux te quitter, je veux tout quitter. Quitter cet endroit. Je veux juste m'en aller. Je veux juste oublier
- Vas-t-en si tu veux, moi je reste. Ici, nous avons trouvé le bonheur malgré tout.
- Toi, peut-être. Si j'étais heureuse, je ne souffrirais pas autant.
- La souffrance est le moyen de briser notre armure, nos défenses, pour que le germe de vie en nous croisse et s'épanouisse.
- Ma carapace était-elle donc si épaisse que tu aies pulvérisé chaque brin de bonheur que je cueillais ?
- Je n'ai rien pulvérisé. La souffrance n'empêche ni le bonheur, ni la paix. Elle naît quand nous refusons de grandir.
- Peut-être ... sans doute ... mais elle fatigue. Je suis fatiguée de souffrir, fatiguée de pleurer.
- Tu ne sais pas pleurer !
- Pourquoi dis-tu cela ?
- L'eau qui s'écoule de tes yeux est sèche. Elle prend sa source dans l'aridité de ton cœur. Si tu savais pleurer, les larmes te laveraient, elles deviendraient une arme pour te garder de cette souffrance que tu rejettes.
- Il est facile pour toi de parler ainsi ! Tu ne pleures jamais !
- Qu'en sais-tu ?
Tu ne gardes aucun souvenir des rivières dans lesquelles je t'ai baignée quand tu gisais le corps meurtri et le cœur profané ; des larmes de lumières versées pour que recule l'ombre froide qui te glaçait.
Tu as perdu la mémoire, mais moi, je me souviens et je pleure encore souvent pour toi. Pour toi, je laisse ruisseler la prière. Elle coule tant que j'en ai les yeux brûlants et le cœur brouillé de sanglots. Il m'arrive aussi de douter parfois, mais ce doute me porte afin que je puisse te relever quand je te sens vaciller.
- Tu as donc tant d'amour pour moi ?
- Non.
- Pourquoi est-ce ainsi alors ? Pourquoi fais-tu tout cela ?
- Je ne fais rien. Je suis toi et tu es moi.
Tu ne cesses de l'oublier, mais, moi ... je me souviens.
- Y aura-t-il une fin un jour ?
- Non.
- C'est sans espoir alors ?
- Non. Là réside l'espérance au contraire. Ni fin, ni commencement. Lorsque tu accepteras cela, que tu le comprendras, tu cesseras de souffrir.
- Je voudrais juste fermer les yeux un instant. Oublier, juste un instant.
- Dors si tu veux. Je veille.
joeljestin.fr