Hemorralgie
Le sang coule et roule les mémoires de demain. Sombres Mémoires, oubliées sitôt que bues. Sang qui ne donne aucune vie, affame la Mort et tâche la Terre.
D'où viens-tu, enfant qui n'est pas née ? D'où viens-tu, passé par la mémoire effacé ? Hier encore, sombre trace sur un linge blanc, tu coules à flots, clair comme une rivière. Tu charries l'avenir que je refuse d'écrire. D'autres avant moi sont venus, on les a fait couler. Ils sont partis avant que d'être nés. D'autres, ailleurs sont restés, présent inachevé, non nés, non advenus à l'existence et pourtant incarnés, figés dans la chair qui les porte et plus jamais ne saigne.
Je regarde ce rouge, substance d'une vie que je n'ai pas voulue. Couleur d'une honte qui a noirci la nuit. Qui a éteint la nuit ? Qui a fait couler le sang le premier ? Est-ce cette honte qui a bu toutes les ombres ? Claire fontaine où l'on m'a baignée, je suis restée sous les chaines, mais je n'ai pas séchée.
Dis-moi, Toi qui me lit, serai-je déliée un jour ? Lorsque le sang cessera de couler, l'enfant sortira-t-elle de sa gangue de pierre ? Et si elle sort, que dira-t-elle ?
Hier n'a jamais existé. L'enfance s'en est allée sans avoir connu d'aujourd'hui et l'enfant non née, l'enfant tronquée attend un lendemain. Mais comment un matin pourrait-il suivre un jour sans soleil et sans lune ?
Dis-moi, Toi qui me lit, serai-je déliée de la nuit ? Lorsque les draps froissés étoufferont les cris, vagissements d'un nourrisson suceur de sang, excrété tel un étron sans attendre le terme. D'autres avant moi sont venus, noircir la noire Mémoire, noircir le sang sale, rouge honte d'une chaîne sans fin.
Dis-moi, Toi qui me lie, pourquoi je suis restée ?